La prison est généralement définie comme un « lieu clos destiné à des personnes privées de liberté par l'effet d'une décision de justice » (Cadiet, 2004, p. 1047). Sa clôture et son organisation spécifique font d'elle un espace à part : elle est souvent assimilée à une « institution totale » (Goffman, 1968 [1961]), une « hétérotopie » (Foucault, 2009 [1966]), ou encore un « antimonde » (Milhaud, Morelle, 2006). Un certain nombre d'études incite toutefois à nuancer la radicalité de la discontinuité qui sépare la prison et son environnement. Claude Faugeron propose de considérer la prison comme « une sorte de lieu paroxystique, un laboratoire d'analyse du social privilégié, dans la mesure où elle concentre dans un espace circonscrit et de façon amplifiée bien des phénomènes observés dans d'autres champs de la société. Ainsi, elle permet de lire, soit sur le mode d'une reproduction (par exemple la gestion de la pauvreté), soit sous la forme d'une inversion, les principes de structuration des rapports sociaux » (Faugeron, 1996, p. 40). S'inscrivant dans la même perspective, d'autres recherches soulignent, sous divers angles, l'existence de continuités entre l'intérieur et l'extérieur des murs, qualifiées de continuum carcéral. C'est notamment le cas d'Olivier Clochard dans cet ouvrage, qui étudie le rôle des commissariats de police dans l'enfermement des étrangers. L'analyse de celui-ci a surtout été développée aux Etats-Unis, où les nombreux travaux menés sur les effets sociaux de l'incarcération de masse montrent que les habitants des ghettos sont sur-représentés en détention (Lynch, Sabol, 2004 ; Kurgan, 2006). Loïc Wacquant qualifie de « continuum carcéral » le mouvement de circulation (les incarcérations et les libérations successives ou concomitantes) de détenus originaires des ghettos. Il montre comment les prisons se sont ghettoïsées et les ghettos carcéralisés, ces deux univers étant « étroitement liés par une triple relation d'équivalence fonctionnelle, d'homologie structurale et de syncrétisme culturel » (Wacquant, 2001, p. 33). Si le continuum carcéral est un objet clairement identifié dans les études carcérales aux Etats-Unis, les chercheurs travaillant sur la situation française n'emploient que rarement cette expression. Cela s'explique sans doute par la réticence à importer de l'étranger un concept très marqué par son contexte de production, caractérisé par l'incarcération de masse (on compte 693 détenus pour 100 000 habitants aux Etats-Unis en 2014 contre 114 détenus pour 100 000 habitants en France à la même époque, d'après World Prison Brief) et la ségrégation résidentielle (l'assimilation des quartiers populaires français à des ghettos fait l'objet de controversespour une synthèse des débats, voir Kokoreff, 2009).